Je n'imaginais pas que j'allais passer la fin de cette semaine à la Maison des Métallos.
Mardi, Rayhana, alors qu'elle se rendait au théâtre, se fait aspergée d'essence par 2 hommes puis une cigarette allumée lui est jetée au visage. Heureusement, cette tentative d'immolation n'a pas réussie, et Rayhana réussit à s'échapper. Elle se réfugie dans 2 magasins pour demander une aide qui lui est refusée ! Elle réussit à joindre la police sur son portable et sera secourue aussitôt.
La barbarie à Paris.
L'information se répand sur Facebook . Fabien de Ménilmontant sort immédiatement sur son site un papier documenté
J'appelle la maison des Métallos qui me prévient de la conférence de presse de jeudi 16h. Arrivée là, je croise quelques visages connus de représentant-es d'associations laïques et féministes et des élu-es.
Nous nous installons pour la conférence de presse : Rayhana arrive entourée du metteur en scène et du directeur de la Maison des Métallos. Elle a le regard à la fois étonné d'être assaillie par les télés et radios, mais également grave.
J'apprends que déjà la semaine précédente elle s'était faite agressée verbalement par 2 barbus en sortant de chez elle : " mécréante, putain, on sait bien qui tu es". Elle avait alors porté plainte mais n'avait pas jugé utile de rendre publique cette agression. Aujourd'hui il s'agit d'une tentative d'homicide, doublée d'un " on t'avait prévenue ! "
L'enquête devra déterminer si les agresseurs sont des " salopards isolés" comme les a qualifiés l'adjoint au maire de Paris chargé de la culture, ou s'ils relèvent d'un réseau islamiste organisé.
Après avoir fait le récit de ces agression, Rayhana se plie à l'exercice mais ne plie pas en répondant aux questions des journalistes qui insistent parfois lourdement ...
"Non, je n'ai pas peur pour moi, mais parfois pour mes proches en Algérie", " non je n'ai pas pensé à la peur en écrivant ce texte", "oui je suis une militante féministe", "oui, j'ai écrit ce texte qui pourrait se passer partout ailleurs, en Espagne où les violences faites aux femmes sont la 1ère cause de mortalité .... mes personnages s'appellent Samia ... elles pourraient s'appeler Françoise". A la question perverse d'une journaliste : " saviez-vous que le théâtre est situé à Belleville, non loin d'un hammam et d'une salle de prière ? ", Rayhana répond : " oui non loin d'un hammam et d'une salle de prière réputée intégriste, mais je n'ai jamais eu de problème dans le quartier, et nous sommes en France !" Le directeur ajoute : " le théâtre et les comédiens n'ont jamais eu de problème dans le quartier". Puis Rayhana parlera de ses ami-es du spectacle qui ont été assassinés en Algérie, et de son parcours de comédienne en Algérie. " Non, je n'ai pas peur".
Cette pièce-là est sa première écrite en français. " C'est l'histoire de la résistance des femmes aux violences, les femmes résistent depuis si longtemps, que résister, c'est presque inscrit dans les gênes ! "
Lorsqu'après la conférence je la rejoins pour boire un café et lui présente le soutien de réseaux féministes, elle m'étreint, les larmes aux yeux. " Je n'allais pas faire comme les femmes battues, me taire, me cacher". Plus tard elle m'annoncera la décision collective de son équipe : continuer jusqu'au bout les représentations de sa pièce.
Le soir même, j'écris un article qui paraîtra le lendemain sur Youphil, puis un communiqué de presse pour le Secrétariat Exécutif Régional des Verts.
Vendredi je retourne au théâtre pour assister à la représentation et au débat. Des représentant-es du gouvernement et de la Mairie de Paris sont là. Après la représentation, Rayhana nous explique qu'elle a refusé des mises en scènes exotiques, genre un thé à la menthe offert au public, un véritable hammam sur scène ... En effet, dans cette pièce, tout est pudeur et touche à l'universel . Le hammam, c'est l'endroit où tout le monde arrive habillée, puis se dénude, même les " bachées", l'endroit où se disent les vérités, où les vies se racontent et s'entrecroisent. 9 femmes, 9 parcours de vie, sur fond de violences des années noires en Algérie, et de violences sexistes qui pourraient arriver tout à fait ailleurs. Les comédiennes racontent comment, bien que non maghrébines pour la plupart, elles ont investi leurs personnages.
Nous sommes bien dans l'universel, la liberté d'expression, la liberté des femmes, l'humain. C'est sans doute là qu'il faut chercher les motifs de cette agression liberticide.
Merci Rayhana pour ton courage et cet hymne à la liberté.